L’avenir s’efface

Publié le par mapie

La persistance de la mémoire - Salvatore Dali


Si c’est une maison pour «  personnes de mon âge », j’ai du sauter quelques  classes, car je les trouve bien vieilles, moi, les filles de la promo! 

Mais bon…. Ici, je suis bien - Je le sais - Tout le monde me le répète… D’ailleurs, pourquoi je ne ressens pas l’enthousiasme qu’il déploient  tous à me convaincre ?

Souvent je les fais rire. J’avoue. Je déménage parfois.  Et de mes errances, je rapporte quelques drôles de mots… 

Quand je les fixe en silence, alors ils croient lire en mon regard de la tristesse, de la fatigue, de la désorientation… C’est fou tout ce que mon mutisme  leur inspire… Moi je les regarde c’est tout. Pourquoi toujours dire?


D’ailleurs, « dire »… pour ce que cela sert…

Si je leur dis ce que je vis - ils me corrigent pour me dire ce que je suis sensée vivre. Mais moi, je sais bien que cela ne correspond pas. Du coup, ils en concluent que je perds la tête, que c’est l’âge, le changement, la perte de repères.. que tout cela va s’arranger… ou pas… et que quoiqu’il en soit, c’est dans l’ordre des choses…

 

L’ordre des choses…. Il a bon dos… s’il y avait « un ordre des choses », le monde ne serait pas ce qu’il est! Je le sais moi. J’ai 99 ans, alors évidemment… j’en ai vu…

Depuis quelque temps, le temps s’étire. Je vis cet étirement, un peu comme la montre du tableau de Dali, celle qui coule du bord de la table.  Le temps déforme ce que je suis , ce que je vois, ce que je vis. Du coup, je me raccroche au passé. Il est bien le seul à garder une forme correcte.

Vous ne trouvez pas, vous, que l’avenir est flou?


Les murs, les couloirs,  et même les gens sont si pâles  qu’ils semblent s’effacer.

L’avenir s’efface. Suis-je donc la seule à m’en apercevoir?

 

Non… il y a aussi cette dame au regard gris pale , assise là dans l’entrée.

Elle sourit- ne dit rien- mais tout comme moi n’en pense pas moins.

 

 

 

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